Le Ministère considère différentes méthodes reconnues pour la détermination des débits de crue, lesquels constituent des éléments essentiels du processus d’analyse de certains dossiers à caractère hydrologique, hydraulique et environnemental. Rappelons que le débit d’un cours d’eau se définit comme le volume d’eau s’écoulant par unité de temps. Ces unités sont principalement exprimées en mètres cubes par seconde (m³/s).
Les principaux dossiers d’étude qui requièrent des calculs de débits de crue concernent la caractérisation du régime d’écoulement des cours d’eau, la détermination de zones à risque d’inondation et d’érosion, le dimensionnement de centrales hydroélectriques, la construction ou la mise aux normes de structures de retenue (digues et barrages), la gestion des eaux retenues avec contrôle des niveaux d’eau (gestion des lacs et des réservoirs), le détournement de cours d'eau, la construction d’infrastructures routières ou leur réfection.
Les présentes lignes directrices visent à décrire les notions de base relatives à l’estimation des débits de crue et les méthodes couramment utilisées par le Ministère. Elles ont aussi pour but de préciser le cadre scientifique et technique dans lequel ces analyses peuvent être réalisées par un professionnel compétent en hydrologie.
Une crue se définit comme une augmentation importante du débit (et par conséquent du niveau) d'un cours d'eau, le plus souvent attribuable aux apports verticaux : la fonte de la neige ou les précipitations sous forme liquide. Au Québec, le printemps, au moment de la fonte du couvert de neige, est propice aux crues importantes. Ces crues peuvent aussi se produire à l’été ou à l’automne lors de précipitations intenses; on parle alors de crues éclair.
Les deux variables les plus demandées au Ministère sont les suivantes :
Différentes périodes peuvent être déterminées pour ces variables :
Le régime d’écoulement naturel des cours d’eau d’un bassin versant peut subir une influence anthropique. Celle-ci peut être liée, par exemple, à la présence d’ouvrages de retenue gérés, au drainage agricole, à des prélèvements d’eau ou à des rejets dans le milieu récepteur.
Au Ministère, la caractérisation du degré d’influence anthropique d’un bassin versant se limite principalement à l’évaluation des effets de la gestion des barrages présents sur le débit d’un cours d’eau, le cas échéant.
Dans une étude hydrologique sur les débits de crue, il est important de tenir compte des effets des changements du régime d’écoulement passés ou à venir sur le cours d’eau. Bien que cette précaution soit fondamentale, il arrive que de l’information manque. Certaines études sur les crues sont donc basées sur des données hydrologiques historiques qui ne représentent plus la réalité, et d’autres reposent sur l’hypothèse que des ouvrages présents sur les cours d’eau ont peu d’effet sur le régime d’écoulement, ce qui n’est pas nécessairement le cas.
Au Ministère, on distingue trois types de régimes d’écoulement selon la présence et l’effet d’ouvrages de retenue :
Quelques organisations publiques ou entreprises privées possèdent des données hydrométriques qui peuvent être utilisées pour réaliser des études hydrologiques de détermination des débits de crue sur le territoire québécois. Parmi les plus importantes, mentionnons :
En général, les analyses hydrologiques réalisées au Ministère tiennent compte des données hydrométriques enregistrées à partir de 1970. Lors d’analyses visant à caractériser le régime hydrologique d’un cours d’eau, le choix de l’historique de données utilisé doit tenir compte des changements qui peuvent avoir eu lieu au fil du temps : utilisation du sol, ouvrages de rétention, climat, etc. L’objectif est de réaliser l’analyse avec les données qui représentent les conditions actuelles d’écoulement et il prime celui d’avoir le plus long historique de données.
Lorsqu’un nombre suffisant de données est disponible, c’est-à-dire au moins 20 ans de données journalières, les débits de crue sont généralement évalués à partir d’une étude hydrologique dite « classique ». Celle-ci consiste à ajuster une loi statistique aux débits maximaux enregistrés à une station hydrométrique située sur la rivière étudiée. Il est à noter que, pour estimer des débits d’une récurrence de plus de 100 ans, il est préférable d’utiliser plus de 20 ans de données.
Toutefois, avant d’ajuster une loi statistique, il faut s’assurer que la série de données confirme les hypothèses de base. Théoriquement, pour qu’une loi statistique puisse être retenue, les données qui composent l’échantillon doivent être indépendantes, stationnaires et homogènes.
Ensuite, on ajuste l’ensemble des lois statistiques généralement utilisées en hydrologie pour estimer les débits maximaux des récurrences désirées. À la suite de l’analyse des ajustements, principalement basée sur le critère d’adéquation bayésien et sur la représentation graphique, la loi qui décrit le mieux l’échantillon de données est retenue.
Les analyses statistiques sont généralement réalisées à l’aide d’un logiciel d’analyse fréquentielle en hydrologie. Le Ministère utilise le logiciel Hyfran-Plus (Bobée et collab., 2008) mis au point au Centre Eau Terre Environnement de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS-ETE). Il permet notamment de vérifier les hypothèses de base, en plus de fournir les valeurs du critère bayésien et la représentation graphique des ajustements qui aident à sélectionner la meilleure loi. Ce logiciel est distribué par Water Resources Publications et peut être acheté et téléchargé à partir de son site Web.
Une méthode alternative existe lorsque la série qui constitue l’échantillon est trop courte. La méthode du renouvellement permet d’utiliser de courtes séries de données. Au lieu de ne retenir que le maximum annuel, on détermine un débit-seuil au-delà duquel toutes les pointes de crues indépendantes sont considérées pour l’analyse. Pour plus de détails sur cette méthode, voir la section 8.2, « Annualisation des séries infra-annuelles, de Meylan et collab. (2008), et la section 7.7.1, « Méthode du renouvellement », d’Anctil, Rousselle et Lauzon (2005).
Cette méthode est peu utilisée au Ministère. Le professionnel en hydrologie qui désire l’employer doit bien documenter sa méthodologie.
Il est possible de procéder à une estimation des débits de crue pour des sites situés en amont ou en aval d’une station hydrométrique, en transposant les débits de crue obtenus à la station à l’aide de l’équation suivante :
(5.1) |
où QT1 : débit de crue de récurrence T au site étudié; QT2 : débit de crue de récurrence T au site jaugé; A1 et A2 : superficies des bassins versants, respectivement au site étudié et au site jaugé; a : exposant régional.
L'utilisation de cette équation est communément appelée « transfert de bassin versant ». Il est possible de déterminer l'exposant a si on dispose d’un nombre suffisant de données pour deux stations hydrométriques, c’est-à-dire une station avec les données de laquelle l’analyse statistique est réalisée et une autre qui fournit quelques données sur le cours d’eau étudié. On trouve des détails additionnels sur la valeur de a dans Anctil et collab. (2005, section 8.6). Par défaut, une valeur de 1 peut être utilisée (World Meteorological Organization, 2008, section 9.2). Il est généralement admis que l’équation (5.1) donne de meilleurs résultats si A1/A2 (rapport des superficies des bassins versants) varie de 0,5 à 2,0.
Un transfert de bassin versant peut également être réalisé entre deux cours d’eau distincts. Voir la section 5.4 à ce sujet.
Sur le territoire québécois, comme la représentativité spatiale des réseaux de mesures hydrométriques est très faible, la plupart des demandes d’étude sur les débits de crue font partie de cette catégorie. L’évaluation des débits peut se faire comme suit :
D’autres techniques régionales consistent à regrouper des stations hydrométriques dont le comportement hydrologique est similaire. On commence par définir des regroupements hydrologiques homogènes, puis on transfert les données provenant des sites jaugés vers les sites non jaugés. Au Québec, l’analyse régionale élaborée par Anctil et collab. (1998) est l’une des plus connues de cette catégorie. Cette méthode se base sur l’ensemble des cours d’eau dont le régime d’écoulement est naturel ou quasi naturel au Québec, où trois régions homogènes ont été établies. La distribution « Generalized Extreme Values » (GEV) avec une estimation des paramètres du modèle à l’aide de la méthode des L-Moments a été retenue pour décrire les débits mesurés dans ces régions.
La Chaire de recherche du Canada en estimation des variables hydrologiques utilise une méthode d’analyse canonique des corrélations pour déterminer les voisinages hydrologiques homogènes (Ouarda et collab., 2001).
La prise de mesures du débit en continu au site étudié pendant une dizaine d’années peut éventuellement permettre de préciser les valeurs de débits de crue retenues. Prendre des mesures de manière ponctuelle ou pendant une période courte peut permettre une comparaison avec l’ordre de grandeur des valeurs retenues. Toutefois, les débits de crue sont des valeurs statistiques basées sur de longues séries de données qui ne peuvent être remplacées par quelques mesures.
Cas particuliers : les besoins en calculs de débits de crue concernent souvent les petits bassins versants (dont la superficie est inférieure à 200 km²). Comme la représentativité des stations hydrométriques dans cette classe de superficie est faible au Québec, il est difficile de faire des estimations précises pour de tels bassins. La méthode rationnelle est utilisée pour les bassins dont la superficie est inférieure à 25 km2 (section 5.5). Cependant, l’hydrologue doit faire preuve de discernement et prendre en considération l’incertitude des résultats, qui peut être significative.
La méthode rationnelle a été élaborée pour estimer les débits de pointe des bassins versants dont la superficie est inférieure à 25 km².
Elle requiert notamment les données suivantes : une intensité de précipitation, un coefficient de ruissellement et une aire de bassin versant. Cette méthode empirique utilisée depuis plus d’un siècle a été adaptée pour le Québec par l’équipe du Service de conception de la Direction des structures du ministère des Transports du Québec (MTQ). La méthode est expliquée en détail dans le Manuel de conception des ponceaux (MTQ, 2014).
Pour les cours d’eau qui drainent un bassin versant à forte proportion urbaine, des méthodes spécifiques existent et relèvent principalement du génie municipal. Ces méthodes permettent d’évaluer des débits de crue en tenant compte des surfaces imperméables et du drainage urbain. Il s’agit de modélisation pluie-débit, dans laquelle des pluies de projet doivent être sélectionnées.
Ces méthodes ne sont pas utilisées au Ministère. En effet, les analyses hydrologiques réalisées servent principalement à la gestion des barrages publics, et ces derniers sont majoritairement situés sur des bassins versants naturels.
On peut trouver plus de détail sur ce type de méthode dans la littérature, notamment dans le Guide de gestion des eaux pluviales publié par le Ministère.
Lorsque la présence et la gestion d’un barrage influencent le débit sur une base mensuelle (voir la définition à la section 3), la méthodologie d’évaluation des débits de crue doit être adaptée aux particularités de chaque situation.
La méthodologie employée doit tenir compte de l’effet du barrage sur le régime d’écoulement du cours d’eau, particulièrement son effet sur les crues. À cet effet, le gestionnaire du barrage concerné doit impérativement être consulté. Le gestionnaire peut d’ailleurs posséder un historique des débits évacués par l’ouvrage.
La méthodologie doit également tenir compte de l’objectif de l’étude. Selon l’objectif poursuivi, l’ingénieur peut décider d’évaluer les débits de crue en conditions naturelles sans barrage, en conditions d’opération normale du barrage ou en conditions de rupture.
Les débits maximaux annuels considérés dans les analyses statistiques sont principalement évalués à partir de moyennes journalières. Pour estimer un débit instantané, c’est-à-dire un débit de pointe, ces débits maximaux peuvent ensuite être majorés par un facteur de pointe. Dans la détermination des zones inondables, par exemple, on doit tenir compte du facteur de pointe puisque les dommages causés lors d’une crue sont directement liés au niveau d’eau maximal atteint, même si l’atteinte de ce niveau est de courte durée.
La méthode la plus communément employée pour obtenir le facteur de pointe consiste à prendre, pour une station hydrométrique donnée, le débit maximal instantané de la journée où le débit maximal moyen annuel a été atteint, et à diviser la première valeur par la seconde. Lorsque plusieurs années de données sont disponibles, une moyenne peut être faite, ce qui rend la valeur du facteur de pointe plus représentative.
Récemment encore, la plupart des études hydrologiques s’appuyaient sur l’hypothèse suivant laquelle les conditions qui régissaient le régime d’écoulement dans le passé seront les mêmes dans l’avenir. En raison des changements climatiques attendus, cette hypothèse n’est plus valide.
Désormais, les changements climatiques sont à considérer, systématiquement, comme source potentielle de changement futur des crues. À cette fin, des projections d’indicateurs hydrologiques pour plusieurs tronçons du territoire québécois sont disponibles dans l’Atlas hydroclimatique du Québec méridional. Cet outil décrit le régime hydrique actuel et futur du Québec méridional dans le but de soutenir la mise en œuvre de pratiques de gestion de l’eau résilientes aux changements climatiques. Il rend disponibles les valeurs de débits pour 76 indicateurs hydrologiques, dont de nombreux indicateurs d’étiage, pour près de 10 000 tronçons jaugés et non jaugés du Québec méridional. Les résultats sont disponibles pour la période de référence (1981-2010), ainsi que pour trois horizons futurs permettant une évaluation de l’impact des changements climatiques jusqu’à la fin du siècle. Une estimation de l’incertitude accompagne toutes les données.
Le rapport technique décrivant en détail la méthodologie sera ajouté au cours de 2023.
Le Ministère possède une banque de données hydrométriques permettant d’évaluer des débits de crue pour la portion du Québec située au sud du 52e parallèle. Il est possible de consulter les données historiques enregistrées par les stations hydrométriques.
Le tableau Débits de crue aux stations hydrométriques du Québec (Débits moyens journaliers) (PDF, 169 ko) qui présente les débits de crue à certaines stations hydrométriques, est également disponible.
Un rapport d’analyse hydrologique de débits de crue doit contenir l’information et les éléments suivants :
Un professionnel compétent dans le domaine de l’hydrologie, et qui est familier avec ce type d’analyse, peut réaliser des études de détermination de débits de crue.
L’hydrologue dispose de différentes méthodes d’estimation des débits de crue pour réaliser des projets impliquant les ressources en eau. Le présent guide ne prétend pas décrire toutes les méthodes. Il présente celles que le Ministère utilise couramment pour donner des avis techniques ou pour effectuer des analyses hydrologiques de débits de crue.
Une méthode d’estimation des débits de crue, même précise, peut fort bien être à l’origine d’estimations erronées si les paramètres régionaux et les facteurs qui permettent de porter un jugement sur les résultats ne sont pas jumelés à une bonne connaissance du site étudié. Lorsque les analyses sont basées sur des données provenant d’un cours d’eau éloigné des sites étudiés, les estimations peuvent être améliorées par des campagnes de mesure du débit sur les cours d’eau étudiés.
Pour plus de renseignements, écrivez à expertise.hydrique@environnement.gouv.qc.ca.
ANCTIL, François, Nicolas MARTEL et Van Diem HOANG (1998). « Analyse régionale des crues journalières de la province de Québec », Revue canadienne de génie civil, vol. 25, n° 2, p. 360-369.
ANCTIL, François, Jean ROUSSELLE et Nicolas LAUZON (2005). Hydrologie : cheminements de l’eau, Presses internationales Polytechnique, 317 p.
BOBÉE, Bernard, et collab. (2008). Hyfran 2.2 (logiciel hydrologique : Chaire en hydrologie statistique CRNSG/Hydro-Québec), INRS-Eau Terre Environnement, Université du Québec, Québec.
MEYLAN, Paul, Anne-Catherine FAVRE et André MUSY (2008). Hydrologie fréquentielle. Une science prédictive. Collection « Science et ingénierie de l’environnement ». Presses polytechniques et universitaires romandes, 173 p.
Ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (2011). Guide de gestion des eaux pluviales. 386 pages incluant des annexes.
MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT, DE LA LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, DE LA FAUNE ET DES PARCS (2022). Guide de l’Atlas hydroclimatique du Québec méridional 2022, [En ligne], www.cehq.gouv.qc.ca/atlas-hydroclimatique/guide-atlas-hydroclimatique-2022.pdf.
Ministère des Transports du Québec (MTQ) (2006). Manuel de conception des ponceaux – révision, Service de l’hydraulique, ISBN : 2-550-28765-7.
OUARDA, T.B.M.J., GIRARD, C., CAVADIAS, G.S. et BOBÉE, B. (2001). « Regional flood frequency estimation with canonical correlation analysis », Journal of Hydrology 254 (1-4) : 157-173.
ROUSSELLE, Jean, WATT, W. Edgar, LANTHEM, Keith W., NEILL, Charles R. et T. Lloyd RICHARDS (1990). Hydrologie des crues au Canada - Guide de planification et de conception, Ottawa, Comité associé d'hydrologie, Conseil national de recherche Canada, 277 p.
World Meteorological Organization (2008). Manual on Low-flow. Estimation and Prediction, Operational Hydrology Report no 50, 136 p.
Mise à jour : janvier 2023